Les défis amazoniens présents et futurs
Adalberto Luis Val et José Alberto da Costa Machado
04/05/2015 à 17:53, Lundi | Mis à jour le 22/09 à 16:07
Depuis le fameux rapport du Club de Rome sur les limites environnementales de la croissance économique*¹, l’Humanité cherche des directions pour contourner l’incompatibilité de son mode de vie avec la capacité de la planète de le supporter. Avec comme point de départ la Conférence de Stockholm, en 1972, le Système des Nations Unies renouvelle, de temps en temps, l’ordre du jour de ses débats autour de clichés cognitifs qui galvanisent l’attention et ravivent les risques d’impasses de civilisation issus de notre modèle de développement. Se sont donc succédé l’écodéveloppement, le développement durable, Action 21 et autres; le plus récent étant l’économie verte. Sous ce terme, la Conférence Rio+20 cherche à associer durabilité environnementale et éradication de la pauvreté, comme prémisses d’une économie qui repose sur des dynamiques productives avec faible émission de carbone et l’utilisation efficace des ressources et qui s’engage pour l’inclusion sociale, en particulier de ceux qui sont dépourvus du minimum pour une vie décente.
Naturellement, l’Amazonie sera l’objet de discussions du fait de son importance écologique planétaire, en sa qualité d’espace d’intérêts stratégiques nationaux et aussi de sa situation d’arène de dynamiques productives régionales, ayant presque toujours des effets significatifs sur le biome. Toutefois, ces débats ont besoin de surmonter les approches oscillant entre le radicalisme préservationniste, où tout est interdit, et la volupté appropriationniste, dans laquelle tout est permis. Enfin, il s’agit d’une région dont la partie brésilienne représente 61,2% du territoire national et où vivent environ 21 millions de personnes, réparties dans neuf États*2 et plus de 600 municipalités, avec des dizaines de milliers de villages et de communautés, outre 135 groupes Indiens, avec des indicateurs socio-économiques qui expriment de graves pénuries.
Tout au long de l’Histoire, la région a été la scène de dynamiques économiques qui y ont laissé des impacts environnementaux, déstructuration sociale et pauvreté économique. Il en a été ainsi avec les cycles des drogues du sertão*3 , du caoutchouc, des grands projets agropastoraux, miniersmétallurgiques et autres analogues. De nos jours, aux côtés de la nouvelle vague de projets hydroélectriques et de grands axes routiers intra et inter-régionaux, se consolident également de nouveaux grands projets d’exploitation minière, comme du pétrole, du gaz naturel et des minéraux métalliques. Ces initiatives ont en commun de se baser sur l’exploitation, de ne présenter peu ou aucune agrégation de valeur régionale ajoutée, un faible impact sur le revenu régional et les habituels effets environnementaux et de déstructuration sociale.
Peu à peu, cependant, l’intelligentsia scientifique régionale semble prendre en considération l’urgence du changement de décor. Les nouvelles universités se répandent dans la région, des fonds et fondations de soutien à la recherche et à l’innovation se consolident dans les États, des programmes de master et de doctorat et des centaines de cours de spécialisation sont structurés. En outre, les instituts de recherche commencent à adopter plus d’ordres du jour associés à des demandes de production régionales qui soient capables de générer de la richesse économique, mais en accord avec la nécessité d’utilisation et de conservation des écosystèmes complexes et fragiles de la région, ainsi que l’amélioration de la vie de ceux qui l’habitent.
Des connaissances scientifiques pour une nouvelle économie
Voilà l’expectative d’un nouvel avenir pour l’Amazonie. Les établissements régionaux d’enseignement supérieur et de recherche ont une vaste expérience dans la formation de ressources humaines hautement qualifiées et produisent une grande quantité de connaissances scientifiques et technologiques sur les écosystèmes de la région. C’est un capital qui peut être mobilisé pour forger une nouvelle base économique qui s’appuie sur la conversion de ces réservoirs intellectuels en facteurs de production et possibilités d’affaires. Les thèmes candidats à ce type d’initiatives incluent la biodiversité et les services écosystémiques, les productions de base agro-sylvo-pastorale et aquacole, la gestion forestière et aquatique, l’extrativisme végétal et animal et autres dynamiques productives basées sur les ressources naturelles de l’Amazonie.
Ces institutions, cependant, ont besoin de renforcement des ressources humaines et de gestion, dans la régularité et suffisance de ressources financières, et d’un rôle clair dans les politiques publiques qui traitent du développement régional. D’ailleurs, la question des ressources humaines en Amazonie doit être repensée dès l’éducation primaire, au sein duquel on maintient une éducation homogénéisée qui éloigne les enfants de leur milieu et de leur culture. Au niveau de l’enseignement supérieur persistent des problèmes qualitatifs et d’échelle. Seuls un peu plus de 4% des programmes de post-graduation du pays fonctionnent dans des institutions amazoniennes, la plupart d’entre eux étant classés comme de niveau initial dans l’échelle de classement de la Coordination de Perfectionnement du Personnel de Niveau Supérieur (CAPES). En outre, on constate une absence de programmes de masters et doctorats dans des domaines absolument vitaux pour la région, en dépit de l’énorme effort de la Capes et du Conseil National de Développement Scientifique et Technologique (CNPq). On compte un peu plus de 4 200 docteurs dans le personnel de tous les établissements d’enseignement supérieur et de recherche existants dans les neuf États amazoniens, ce qui produit une situation très fragile pour les aspirations de la région, tout particulièrement en ce moment où l’on cherche des alternatives pour ce qui est codifié comme l’économie verte.
En Amazonie sont réunies les conditions propices pour une expérimentation effective du concept d’économie verte, comme elle se présente à Rio+20 : un biome riche, vaste et important, encore largement préservé ; une population régionale qui nécessite de l’expansion de ses revenus, d’inclusion sociale et d’une meilleure qualité de vie ; l’émergence uniforme d’un système régional de science, technologie et innovation fondé sur les établissements universitaires et de recherche ; une élite technico-scientifique engagée dans la recherche de nouveaux modèles de développement pour la région ; et, à ce qui paraît, un intérêt stratégique du gouvernement fédéral face à l’attention de la communauté mondiale.
Pourvu que l’effet de galvanisation apporté par ce nouveau thème soulevé par Rio+20 — l’économie verte — puisse se convertir en point de départ rénovateur pour l’Amazonie ! Qu’avec cela la région dépasse son statut d’espace important à niveau mondial, stratégique à niveau national, mais avec une population pauvre qui souffre et un milieu sous constante exploitation, avec peu ou aucun bénéfice pour sa population.
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Adalberto Luis Val, docteur en Biologie des eaux douces et pêche intérieure, actuel directeur de l’Institut National de Recherches de l’Amazonie (Inpa), il étudie les adaptations au milieu aquatique de l’Amazonie. Il est boursier de productivité niveau 1A du CNPq. Il a participé aux études des causes et conséquences des déséquilibres régionaux en Science, Technologie et Éducation. Il est membre titulaire de l’Académie Brésilienne des Sciences et de la direction de la Société Brésilienne pour le Progrès de la Science (SBPC).
José Alberto da Costa Machado, docteur en Développement socioenvironnemental, il a suivi un master en Sciences Informatiques. Économiste émérite, il est administrateur d’entreprises, professeur associé du Département d’Économie de l’Université Fédérale d’Amazonas et coordinateur de Recherche en Société, Environnement et Recherches de l‘Institut National de Recherches de l’Amazonie (Inpa).
*1 MEADOWS, Donella H., MEADOWS, Dennis L., RANDERS, Jorgen, BEHRENS III, William W. (1972). Limites do crescimento: um relatório para o Projeto do Clube de Roma sobre o dilema da humanidade. (Limites de la croissance : un rapport pour le Projet du Club de Rome sur le dilemme de l’humanité). São Paulo : Ed. Perspectiva.
*2 L’Amazonie légale englobe neuf États brésiliens : Acre, Amapá, Amazonas, Mato Grosso, Pará, Rondônia, Roraima, Tocantins et Maranhão — ce dernier partiellement ; à l’ouest du méridien 44o WGr. Ensemble, ils s’étendent sur une superficie de 5 217 423 km2.