Innovation scientifique et sociale
L’enseignement supérieur dans la production de connaissances, l’inclusion sociale et le développement durable
João Grandino Rodas
30/10/2015 à 19:03, Vendredi | Mis à jour le 22/09 à 16:07
Ànotre époque, la science n’est pas épargnée par les transformations sociales, politiques et économiques mondiales et elle doit se « réinventer » pour continuer à jouer le rôle éminent qui lui a été conféré par les sociétés au cours des 300 dernières années. Paradoxalement, cette réinvention dépend autant de sa capacité de continuité, afin de conserver ses caractéristiques d’excellence dans la production de connaissances, ainsi que de sa capacité de transformation pour s’adapter aux nouvelles exigences des sociétés, de la culture, de la science.
Ce mouvement, cependant, requiert la responsabilité des universités dans la formation des professionnels et des scientifiques dans les conditions exigées par des sociétés qui cherchent à se structurer autour de connaissances solides visant à l’innovation, la transformation de la réalité et la construction de la justice sociale.
Ce dernier point est un élément-clé pour la discussion du rôle de la production de connaissances en milieu universitaire, de la recherche de l’inclusion sociale et du développement durable. C’est pourquoi il est important de rappeler l’idéal d’«égalité» de la Révolution Française et son impact sur l’enseignement supérieur.
L’Espagnol José Manuel Esteve, dans son livre La Tercera Revolución educativa [La troisième révolution dans l’éducation] (2004), montre qu’au 19e siècle commence à surgir l’idée de l’éducation pour tous. Par la suite, à partir de la deuxième moitié du 20e siècle, se consolide ce que l’auteur appelle la « troisième révolution dans l’éducation », avec l’épuisement des systèmes d’enseignement basés sur l’exclusion de la grande majorité de la population, et l’avènement de l’idée gagne en force de scolariser 100% des enfants et des jeunes, non seulement à l’école primaire, mais comme aujourd’hui, au lycée, et frappe déjà aux portes des universités. Cette recherche de l’universalisation de l’enseignement est clairement liée à la consolidation de la conception moderne de la démocratie dans les nations occidentales, et son développement n’est pas un processus exempt de tensions.
La démocratisation et la recherche de l’universalisation de l’enseignement a amené la diversité à l’intérieur des universités et de nouveaux contingents populationnels peu habitués au monde de l’enseignement supérieur font désormais partie de son univers quotidien. Je me réfère à l’accès à l’éducation non seulement des femmes ou des enfants issus de couches socio-économiques défavorisées et des minorités ethno-sociales, mais à une diversité plus ample, qui rompt avec l’homogénéisation prédominante dans le passé. Cette universalisation a brisé l’homogénéité et l’élitisme de l’éducation en favorisant l’interaction d’individus possédant des différences sociales, économiques, psychiques, physiques, culturelles, religieuses, ethniques, idéologiques, de genre et d’orientation sexuelle.
La diversité et la démocratie ont donc commencé à aller de pair pour conquérir les avancées récentes dans la production et la diffusion des connaissances. C’est cette constitution sociopolitique contemporaine qui induit les institutions éducatives à respecter les différences au sein de leurs espaces et à vivre avec elles. Ce modèle limite les tentatives d’exclusion ou de disqualification des modes de pensée divergents. Il consolide aussi l’égalité des droits et des devoirs et garantit un espace de convivialité entre des personnes différentes, en enrichissant la culture mondiale et en produisant le progrès et l’innovation scientifique et sociale.
L’intégration de ces nouveaux élèves dans les classes, nombreux d’entre eux étant fils et filles de parents non scolarisés et donc des représentants d’une première génération ayant accès à l’école, demande instamment de réfléchir à de nouvelles façons de concevoir l’éducation. La recherche de l’égalité de conditions et du droit à l’inclusion de toutes les personnes dans le système éducatif, un phénomène récent du point de vue historique, associée aux changements structurels sur la fonction de la connaissance dans le monde d’aujourd’hui et l’organisation socio-économique qui prévaut dans les sociétés post-industrielles, déterminent un vif débat sur le rôle de l’éducation.
L’un des défis pour les universités du 21e siècle est le thème du développement durable, et les contributions attendues de ces établissements se comptent dans la recherche de pointe, un enseignement qualifié et leur rôle de leader lors des débats qui orientent les politiques publiques et les investissements. Les recherches dans les trois dimensions supposées du concept de développement durable, à savoir environnementale, économique et sociale, produisent des connaissances qui permettent de mieux comprendre notre réalité, et surtout d’obtenir des ressources pour promouvoir un nouveau type de relation société-Nature. Ce paradigme a été incorporé dans le processus de formation de nouveaux professionnels de différents domaines, produisant ainsi une incorporation graduelle des idées durables dans la vie de la collectivité.
Ces objectifs sont en accord avec ceux énoncés dans le rapport final de la Conférence mondiale sur l’enseignement supérieur promue par l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) à Paris, France, en juillet 2009 :
« 2. Confronté à la complexité des défis mondiaux actuels et futurs, l’enseignement supérieur a la responsabilité sociale de mieux nous faire comprendre des problèmes aux aspects multiples qui comportent des dimensions sociales, économiques, scientifiques et culturelles et d’améliorer notre aptitude à y faire face. L’enseignement supérieur devrait, au sein de chaque société, être la première source de connaissances mondiales sur les moyens de relever des défis mondiaux tels que la sécurité alimentaire, le changement climatique, la gestion de l’eau, le dialogue interculturel, les énergies renouvelables et la santé publique.
« 3. Pour ce faire, les établissements d’enseignement supérieur, grâce à leurs fonctions essentielles — à savoir la recherche, l’enseignement et le service à la communauté — remplies dans le contexte de l’autonomie institutionnelle et de la liberté académique, devraient renforcer leur orientation interdisciplinaire et promouvoir une réflexion critique et une citoyenneté active qui contribue à la promotion du développement durable, de la paix, du bien- être et du développement, ainsi qu’au plein exercice des droits de l’homme, y compris l’équité entre les sexes.
« 4. L’enseignement supérieur doit non seulement transmettre des compétences solides pour le monde actuel et à venir mais former des citoyens responsables, prêts à défendre la paix, les droits de l’homme et les valeurs de la démocratie. »
En résumé, les changements en cours à l’échelle mondiale attribuent de nouvelles responsabilités aux universités. Elles doivent désormais former des professionnels et des scientifiques qui conçoivent, produisent et diffusent des connaissances autour de principes tels que l’innovation, la transformation de la réalité et la construction de la justice sociale et du développement durable. Si cela est vrai pour les universités en général, cela l’est à plus forte raison pour les universités publiques, entretenues par l’impôt, qui pèse plus fortement sur les personnes moins dotées économiquement.
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*João Grandino Rosa est recteur de l’Université de São Paulo (USP). Il possède quatre diplômes de graduation : en musique, à la Faculté de musique Sagrado Coração de Jesus (1964) ; en éducation, à la Faculté de Philosophie, Lettres et Sciences Humaines de l’USP (1969) ; en droit, à la Faculté de Droit de l’USP (1969) ; et en lettres, à la Faculté de Philosophie Nossa Senhora Medianeira dos Padres Jesuítas (1970). Il a obtenu un master en Sciences politiques et économiques de la Faculté de droit de l’Université de Coimbra (1970) ; un master en droit de la Harvard Law School (1978) ; et un master en diplomatie par The Fletcher School of Law and Diplomacy (1985). Il a un doctorat en Droit (1973), une livre-docência [habilitation à diriger des recherches] (1976) et professeur en Droit international (1993), à la Faculté de droit de l’USP. Président du Comité juridique interaméricain de l’OEA (Organisation des États Américains – 2000-2002), du Tribunal Permanent de Révision du Mercosur (2007-2008) et du Conseil Administratif de Défense Économique – CADE (2000-2004).